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Foucault Féérie

Guy Casadamont

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Foucault Féérie1

Guy Casadamont

[…] je dirai que l’écriture pour moi est liée à la mort.
Michel Foucault2

Car pour nous… quand je dis nous je vous dis vous et moi, Michel Foucault, qui nous intéressons au rapport des mots et des choses, car en fin de compte il ne s’agit que de ça dans la psychanalyse, nous voyons bien tout de suite aussi que ce sujet scopique intéresse éminemment la fonction du signe.
Jacques Lacan3

Ce cri du cœur, le plus bref, trouvé sous la plume de l’économiste Claude Ménard : « Foucault, c’est un style4. » Déplions : le style touche à l’être de Foucault. Pour justifier pour commencer, le titre avancé pour cette discussion : « Foucault féérie », retrouvons ces propos de Gilles Deleuze : « Je vais vous dire : que Foucault existe, avec cette personnalité si forte et si mystérieuse, qu’il ait écrit de si beaux livres, avec un tel style, je n’en ai jamais éprouvé que de la joie5. »

D’emblée, de ce style cette illustration dans un contexte politique particulièrement explosif : en décembre 1971, à la maison centrale de Toul6, des détenus se révoltent contre leurs conditions de détention et probablement aussi contre de mauvais traitements (pour ceux-ci ce que Foucault, plus tard, dans un autre contexte, a pu appeler « la prime de plaisir » – fort proche du « plus-de-jouir » de Lacan). Édith Rose, psychiatre exerçant dans cette prison, rédige un rapport sur la situation carcérale qu’elle adresse au président de la République, au garde des Sceaux, à l’inspection des services pénitentiaires et à la presse. Un prêtre, s’adressant à elle, lui dit à plusieurs reprises : « C’est très grave, madame, pour un médecin de jurer quand on n’a pas vu. » Dernière phrase de l’article de Foucault publié dans Le Nouvel Observateur :

J’ai prié le Dr Rose de demander à ce révérend père, s’il avait vu, de ses yeux vu, l’homme pieds et mains cloués, entre les deux larrons7.

Force de frappe ajustée. Samouraï8 ?

L’un des mérites de l’essai de Guy Le Gaufey est notamment de relancer les dés sur cet impressionnant corpus foucaldien, composé de milliers de pages. La féérie Foucault c’est aussi que sa lecture vaut comme un exercice thérapeutique — elle rend joyeux et donc elle vitalise. C’est là, incontestablement, un effet de style. Le style, entre stylet et stylo…

Pour la discussion d’aujourd’hui, le style réside, – c’est son lieu – dans cette très simple règle de trois mises en avant par G. Le Gaufey et jusque-là jamais énoncée par quiconque. Un « pari » est pris dans cet essai, à partir de ce constat réitéré dit de « la règle de trois », soit ces nombreuses phrases, formulées, accentuées, dépliées d’un trois sous la plume de Foucault. De ce « pari », — nous sommes dans le voisinage de Pascal — nous retardons l’énoncé que nous essaierons de reformuler.

D’un « trois » chez Foucault ?

La page 36 de cet essai présente de multiples exemples de ce trois stylistique, retenons en trois. Le premier de cette page est aussi d’une grande portée, il y aura donc à y revenir. C’est l’ouverture de la Leçon inaugurale au Collège de France L’Ordre du discours :

Dans le discours qu’aujourd’hui je dois tenir, et dans ceux qu’il me faudra tenir ici pendant des années peut-être, j’aurais voulu me glisser subrepticement. Plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J’aurais aimé m’apercevoir qu’au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps : il m’aurait suffi alors d’enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu’on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m’avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens9.

Cet essai y repère ce « trois » : « Il m’aurait suffi alors d’enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger […] dans ses interstices. » Deuxième exemple compté trois : « Le langage est plutôt chose opaque, mystérieuse, refermée sur elle-même10 ». Si cette phrase est restituée sans coupure, elle donne ceci :

Il [le langage] est plutôt chose opaque, mystérieuse, refermée sur elle-même, masse fragmentée et de point en point énigmatique, qui se mêle ici ou là aux figures du monde, et s’enchevêtre à elles : tant et si bien que, toutes ensembles, elles forment un réseau de marques où chacune peut jouer, et joue en effet, par rapport à toutes les autres, le rôle de contenu ou de signe, de secret ou d’indication.

Cette phrase présente plus qu’un « trois », puisqu’elle présente un premier « cinq », puis un « quatre ». C’est aussi celle qui à elle seule, est susceptible de porter l’une des thèses des Mots et les Choses pivot dans l’essai de G. Le Gaufey.

Troisième exemple de « trois » sur la notion « d’œuvre » : « L’œuvre ne peut être considérée ni comme une unité immédiate, ni comme une unité certaine, ni comme une unité homogène11 » G. Le Gaufey écrit :

De quoi qu’il soit fait — énumération réduite à son minimum ou valse à trois temps pour entraîner avec lui le lecteur — le trois de Foucault est toujours linéaire : je dis (un), je me reprends (deux), et à la fin de l’envoi (trois) je touche12.

Autant avancer que Foucault est un escrimeur, une fine pointe. On peut ici d’autant plus songer au Nietzsche du Crépuscule des Idoles ou comment philosopher à coups de marteau [1888] que dans son Nietzsche, l’historien de la philosophie Alexis Philonenko fait cette remarque : « […] n’oublions pas […] que les bijoutiers se servent aussi de marteaux, de très petits marteaux13 ».

Pluralité de plis de ce « trois » :

Avec le trois, l’affirmation reste une affirmation, mais elle tâte le terrain, comme on avance parfois un pied dans l’eau ( « un code sévère, restrictif, répressif14 »), parfois comme à la recherche du mot juste ( « C’est un travail de soi sur soi, une élaboration de soi sur soi, une transformation progressive de soi sur soi dont on est soi-même responsable15 »).

Si cette élaboration aux fins de transformation de soi passe par un autre, on est possiblement au champ freudien16.

La question expresse de l’éditeur

Sur la quatrième de couverture de La règle de trois foucaldienne, faisant signe au lecteur potentiel, l’éditeur pose cette question :

Le goût foucaldien pour un trois stylistique, aussi discret qu’insistant, serait-il le ressort de l’énoncé négatif qui vient clore Les Mots et les Choses sur l’incommensurabilité de l’“être de l’homme” et de l’“être du langage ?”

Quel est donc cet énoncé négatif extrait de l’avant-dernier chapitre des Mots et les Choses (mai 1966)17 ? « L’homme et ses doubles », paragraphe VII. « Le discours et l’être de l’homme ». Le voici :

C’est peut-être là [que s’enracine] le choix philosophique le plus important de notre époque. Choix qui ne peut se faire que dans l’épreuve même d’une réflexion future. Car rien ne peut nous dire à l’avance de quel côté la voie est ouverte. La seule chose que nous sachions pour l’instant en toute certitude, c’est que jamais dans la culture occidentale l’être de l’homme et l’être du langage n’ont pu coexister et s’articuler l’un sur l’autre18.

Cet essai écrit « l’un à l’autre », là où Foucault écrit « l’un sur l’autre »19, la page 64 donnant un large écho citationnel à cette phrase, l’on compte six prépositions « à » au lieu et place de « sur ». Cette citation est aussi la dernière phrase de cet essai, c’est là indiquer son importance, (avec « à » toujours substitué à « sur »). Quoi qu’il en soit de cette substitution prépositionnelle, l’énoncé négatif de Foucault est ce « n’ont pu ». Négation, dans sa puissance d’affirmation. Lacan aurait pu faire sienne cette négation foucaldienne. Pour Foucault comme pour Lacan, les mots ne rejoignent pas les choses.

Par un léger déplacement eu égard à la question formulée par l’éditeur citée plus haut, le pari de cet essai pourrait s’énoncer en ces termes : Le(s) triplet(s) de Foucault auraient vocation — appui pris d’une essentielle négation20 — à montrer non seulement l’incommensurabilité de l’être de l’homme et de l’être du langage, mais aussi la proximité d’un « étrange rapport » chez Foucault avec ce qui chez Lacan s’est appelé le non-rapport sexuel21. On aura noté que cette formulation élargit la question expresse de l’éditeur, c’est que dans cet essai, Lacan est en lice dans cette partie.

D’où les pages sur ce trait de la proximité Foucault/Lacan spécialement réjouissantes. À l’occasion d’une Journée d’études marquant les trente ans du cours de Foucault Subjectivité et vérité, Jean Allouch lisant Foucault lisant Artémidore attrape au vol une fin de phrase du cours du 28 janvier 1981 dont il fait son miel et titre : « La scène sexuelle est à un seul personnage22. » Comme un abord, loupe en main, de la problématique lacanienne selon quoi le sexuel ne fait pas rapport entre amants.

« La pensée du dehors »

Bien avant la question expresse de l’éditeur, G. Le Gaufey attire l’attention du lecteur sur « une affirmation clé (dont on appréciera plus loin, l’impact)23 », annonce-t-il. Cette affirmation clé est une affirmation restrictive, la voici : « L’être du langage n’apparaît pour lui-même que dans la disparition du sujet. Comment avoir accès, poursuit Foucault, à cet étrange rapport ?24 ». Ici changement de site, cet essai a quitté Les Mots et les Choses pour « La pensée du dehors » soit l’hommage de Foucault à Maurice Blanchot publié un mois après Les Mots et les Choses. Étude citée dans cet essai, sinon tardivement, du moins assez loin. Lisons :

En cette année 1966, cette « pensée du dehors » lui vient comme bague au doigt, pour autant qu’elle vaudrait mise en acte de ce mystère qui l’amenait à postuler la « disparition du sujet » dans l’avènement de l’ « être du langage »25.

Ce « mystère » Foucault le dit en bien des termes, cette même année 1966 dans un entretien de juin pas sans saluer Lacan, quoique discrètement et ce d’une seule formule :

« Où “ça parle”, l’homme n’existe plus26. »

Ce que nous lisons d’abord de cette façon : le langage dans son impersonnalité fait disparaitre la figure de l’homme. Mais il y a plus car on peut lire une telle annonce comme relevant d’une politique sexuelle non déclarée. En effet si « l’homme (Homo sapiens) n’existe plus », il n’y a plus la possibilité dans la langue de stigmatiser ce que fabriquent leszom(m)es entre eux dans leurs relations de même sexe (homosexus27) ; tour de force de… l’homophonie. Dit autrement, là où la catégorie culturelle d’homme disparaît, l’homosexualité n’est plus incriminable côté hommes.

L’essai reprend pour les citer les premières lignes du chapitre 2 de La Pensée du dehors28, chapitre qui porte pour titre : « L’expérience du dehors » :

La percée vers un langage d’où le sujet est exclu, la mise au jour d’une incompatibilité sans recours entre l’apparition du langage en son être et la conscience de soi en son identité, c’est aujourd’hui une expérience qui s’annonce en des points bien différents de la culture : dans le seul geste d’écrire29 comme dans les tentatives pour formaliser le langage, dans l’étude des mythes et dans la psychanalyse [lire ici Lacan], dans la recherche aussi de ce Logos qui forme comme le lieu de naissance de toute la raison occidentale. Voilà que nous nous trouvons devant une béance qui longtemps nous est demeurée invisible : l’être du langage n’apparaît pour lui-même que dans la disparition du sujet30.

De quoi s’agit-il dans cette « percée vers un langage d’où le sujet est exclu » ? De l’effet de souffle du langage sur un sujet qui se voudrait originaire, souverain, fondateur.

Vient sous le stylet de Foucault une quasi-définition, étincelante, de « la pensée du dehors » blanchotienne :

Peut-être par une forme de pensée dont la culture occidentale a esquissé dans ses marges la possibilité encore incertaine. Cette pensée qui se tient hors de toute subjectivité31 pour en faire surgir comme de l’extérieur les limites, en énoncer la fin, en faire scintiller la dispersion et n’en recueillir que l’invincible absence, et qui en même temps se tient au seuil de toute positivité, non pas tant pour en saisir le fondement ou la justification, mais pour retrouver l’espace où elle se déploie, le vide qui lui sert de lieu, la distance dans laquelle elle se constitue et où s’esquivent dès qu’on y porte le regard ses certitudes immédiates, — cette pensée, par rapport à l’intériorité de notre réflexion philosophique et par rapport à la positivité de notre savoir, constitue ce qu’on pourrait appeler d’un mot « la pensée du dehors »32.

Foucault avance alors une clef :

Il faudra bien un jour essayer de définir les formes et les catégories fondamentales de cette « pensée du dehors ». Il faudra aussi s’efforcer de retrouver son cheminement, de chercher d’où elle nous vient et dans quelle direction elle va. On peut bien supposer qu’elle est née de cette pensée mystique qui, depuis les textes du Pseudo-Denys, a rôdé aux confins du christianisme : peut-être s’est-elle maintenue, pendant un millénaire ou presque, sous les formes d’une théologie négative33.

À quoi il ajoute cependant : « Encore n’y-a-t-il rien de moins sûr »… Au passage, ce qui vient à l’esprit c’est que « dehors » c’est deux hors d’eux-mêmes. Deux amants divisés en eux-mêmes, cela peut se compter quatre.

Vingt ans plus tard, Maurice Blanchot s’invite dans la discussion.

Apostrophé, Blanchot adresse un signe — posthume — à Foucault et lui répond d’une façon assez directe, sur cette mention des « formes d’une théologie négative » dans son petit livre Michel Foucault tel que je l’imagine.

Lisez et relisez L’Archéologie du savoir (titre par lui-même dangereux puisqu’il évoque ce dont il faut se détourner, le logos de l’archè ou la parole de l’origine), et vous serez surpris d’y retrouver bien des formules de la théologie négative, Foucault mettant tout son talent à décrire en phrases sublimes ce qu’il rejette : « ce n’est pas…, ce n’est pas non plus…, ce n’est pas davantage…, » […]34.

Remarquable « trois » pour notre propos attribué par Blanchot à Foucault, un « trois » fait de trois négations Et là, nous bifurquons d’avec l’essai que nous étudions et ce sans opposition — une opposition est un rapport — en avançant à notre tour que le texte de Foucault sur Blanchot est un texte… mystique…35 Et c’est de ce lieu que Blanchot lui retourne son compliment vingt ans plus tard puisque c’est bien d’un compliment dont il s’agit entre eux. La clef prêtée par Foucault (avec réserve et élégance) à Blanchot lui a été retournée par celui-ci (sans réserve et pas moins d’élégance). Dans « Apophatisme et théologie négative » Pierre Hadot note « […] c’est l’expérience mystique qui fonde la théologie négative et non l’inverse36 ». Expérience mystique sans transcendance pour Blanchot, Foucault, Hadot. Parvenu à la page 449 de l’ouvrage L’Amour Lacan son lecteur est invité à lire que cette figure inédite de l’amour relève d’une mystique sans transcendance37.

Survient Raymond Roussel…38

Dont l’essai de G. Le Gaufey ne fait pas cas. Livre sans sous-titre, — hors genre ? ou dont le genre ne peut pas être dévoilé sans compromettre l’entreprise. L’un des lecteurs les plus attentifs de ce livre, Pierre Macherey n’écrit pas moins ceci dans le Cahier de L’Herne consacré à Foucault : « Le mystère qui entoure ce livre un peu fou, unique parmi les uniques, est peut-être encore plus unique que les autres, […]39 ». Le Raymond Roussel est un chemin pavé d’éclats mystiques.

Revenons sur l’ouverture de la leçon inaugurale au Collège de France, prononcée le 2 décembre 1970 devant l’assemblée des professeurs, pour la chaire nouvellement dénommée « histoire des systèmes de pensée », Foucault fait ce qui s’apparente à une déclaration :

Dans le discours qu’aujourd’hui je dois tenir, et dans ceux qu’il me faudra tenir ici pendant des années peut-être, j’aurais voulu me glisser subrepticement. Plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J’aurais aimé m’apercevoir qu’au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps : il m’aurait suffi alors d’enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu’on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m’avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens40.

Foucault se glissant subrepticement dans le discours qu’il a à tenir se logeant dans une voix sans nom, dans ses interstices, porté par elle, voix qui est accueillie en tant qu’elle n’est pas sienne, porté par elle… Est-on encore au Collège de France ?

À la suite, Foucault dit alors son abord du sujet dans le sillage de La Pensée du dehors :

De commencement, il n’y en aurait donc pas ; et au lieu d’être celui dont vient le discours, je serais plutôt au hasard de son déroulement, une mince lacune, le point de sa disparition possible41.

Pas d’origine, le danger pointé plus haut par Blanchot est écarté, Foucault, fine lame, et pas moins mince lacune disparaissant, on est là, à nouveau, dans un chant mystique ; à bas bruit ? Peut-être pas toujours :

Tendre l’oreille vers la voix argentée des sirènes, se retourner vers le visage interdit qui déjà s’est dérobé, ce n’est pas seulement franchir la loi pour affronter la mort, ce n’est pas seulement abandonner le monde et la distraction de l’apparence, c’est sentir soudain croître en soi le désert à l’autre bout duquel (mais cette distance sans mesure est aussi mince qu’une ligne) miroite un langage sans sujet assignable, un loi sans dieu, un pronom personnel sans personnage, un visage sans expression et sans yeux, un autre qui est le même42.

De commentaire s’abstenir.

« Un peu fou » notait P. Macherey à propos du Roussel. Avec Roussel, Foucault convoque aussi Artaud :

C’est de ce vide aussi [le creux central que jamais rien ne viendra combler] qu’Artaud voulait s’approcher, dans son œuvre, mais dont il ne cessait d’être écarté : écarté par lui de son œuvre, mais aussi de lui par son œuvre ; et vers une ruine médullaire, il lançait sans cesse son langage, creusant une œuvre qui est une absence d’œuvre. Ce vide pour Roussel, c’est paradoxalement le soleil : un soleil qui est là mais ne peut être rejoint ; qui brille mais dont tous les rayons sont recueillis dans sa sphère ; qui éblouit mais que le regard peut traverser ; au fond de ce soleil montent les mots, mais ces mots le recouvrent et le cachent ; et il est double, et deux fois double puisqu’il est son propre miroir, et son envers nocturne.

— Mais que peut être ce creux solaire, sinon la négation de la folie par l’œuvre ? Et de l’œuvre par la folie ? Leur mutuelle exclusion et sur [un] mode bien plus radical que le jeu admis par vous [Janet] à l’intérieur d’une expérience unique [la maladie]43 ?

Assurément, délicate problématisation chez Foucault que celle de cette « mutuelle exclusion » de la folie et de l’œuvre sur laquelle il est revenu à maints endroits de son parcours. Son départ est pris du suicide de Jacques Martin, ami de Louis Althusser qui lui dédiera son Pour Marx (1963) et de Michel Foucault, amitiés qui naquirent à l’École normale supérieure ; J. Martin s’était lui-même nommé « le philosophe sans œuvre44 ».

Énigme

Nous l’avons indiqué plus haut, cet essai de G. Le Gaufey se clôt en citant à nouveau la formulation foucaldienne des Mots et les Choses sur l’absence de commune mesure entre « l’être de l’homme » et « l’être du langage », citation45 pivot de cet essai qui montrerait des « trois » subsumant cette incommensurabilité.

Extraire une ligne d’un ouvrage de quatre-cents pages pour parier d’un trait transversal de grande portée n’est pas seulement audacieux du point de vue de la méthode, c’est aussi en tant que tel irréprochable. Ainsi du pari du triplet. Qu’il s’agisse de la question expresse de l’éditeur portée en quatrième de couverture ou de notre reformulation quelque peu élargie du pari effectivement avancé, nous n’avons pas lu dans cet essai le mouvement qui, parti de la sélection des triplets dans leur énonciation d’ailleurs plus souvent positive que négative, aurait même discrètement renvoyé à cette incommensurabilité entre les mots et les choses. Qu’à l’occasion de cette étude, soit redite la proximité Foucault/Lacan n’en est pas moins réjouissant. Reste toutefois une énigme, qu’est-ce qui aura incliné Guy Le Gaufey à faire fond sur la promotion d’un « trois » chez Foucault ?

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