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Exercices de lecture-écriture

Rafael Perez

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Exercices de lecture-écriture

Rafael Perez

« Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ?1 », se demande Roland Barthes. On se reconnaît dans ce geste « de lire en levant la tête », où le flux d’idées, d’excitations et d’associations produites par la lecture l’interrompt soudainement et à plusieurs reprises. Il s’agit ici d’interroger la lecture qui coupe ainsi le texte. « L’écrivain y interroge non plus des textes, mais des incidents de la quotidienneté2 » : « La lecture, ce serait le geste du corps (car bien entendu on lit avec son corps) qui d’un même mouvement pose et pervertit son ordre3. »

Ce texte qui est écrit par association dans les marges du livre ou quand on lève la tête, est dit être un « texte-lecture4 ». Selon Barthes, on a du mal à le reconnaître parce qu’on s’intéresse plutôt à l’auteur, sa biographie, sa psychologie ; et en revanche, on a tendance à dévaloriser la lecture qui reçoit le texte :

Un texte-lecture, est mal connu parce que depuis des siècles nous nous intéressons démesurément à l’auteur et pas du tout au lecteur ; la plupart des théories critiques cherchent à expliquer pourquoi l’auteur a écrit son œuvre, selon quelles pulsions, quelles contraintes, quelles limites5.

Barthes décline les lectures qui privilégient le lieu d’où l’œuvre est partie, (personne, auteur ou histoire) ; alors qu’il se penche vers le lieu où la lecture va et se disperse. Il y a ceux qui considèrent que l’auteur est le propriétaire éternel d’une œuvre et que les lecteurs n’en sont que les usufruitiers. Bien entendu, cette distinction entre ce que l’auteur « voulait dire » et ce que le lecteur « entend » ainsi posée implique une question d’autorité.

On propose avec Barthes que le sens du texte change avec la lecture qu’il reçoit, il semblerait qu’il se passe la même chose lorsqu’on se relit. Dans l’exercice d’écriture d’un texte-lecture, on n’est pas pris dans le jeu de l’interprétation, on entre dans le terrain des associations, on associe au texte « d’autres idées, d’autres images, d’autres significations6 » :

Je n’ai pas reconstitué un lecteur (fût-ce vous ou moi), mais la lecture. Je veux dire que toute lecture dérive de formes transindividuelles : les associations engendrées par la lettre du texte (mais où est cette lettre ?)7.

Cette question posée par lui « mais où est cette lettre ? », on l’associe avec ce que Jean Allouch a appelé l’altérité littérale8. Reconstituer la lecture à l’aide d’éléments nouveaux, constituer de nouveau avec un second langage quelque chose qui a disparu. Entre le texte source et le texte-lecture s’ouvre ainsi une distance qui ne pourra jamais être vraiment abolie. « Les associations engendrées par la lettre du texte », c’est-à-dire, ce qui de l’écrit passe dans le geste avec la lecture. Avec ses associations qui s’écoulent par les marges du texte ou quand on lève la tête, Barthes propose d’écrire un texte-lecture. Les associations de lecture : « Elles sont toujours prises (prélevées et insérées) dans certains codes, dans certaines langues, dans certaines listes de stéréotypes9. »

Ce qui compte c’est la lecture. Barthes recourt à la métaphore du passage, on conjecture que c’est dans ce que l’auteur ou le lecteur ont de plus futile, de plus passager, de plus neutre. Dans l’argument de son cours Le désir du Neutre, cette notion relève de plusieurs disciplines, sa liste n’est pas exhaustive. Le neutre pourrait se manifester comme : « suspension de l’interprétation, du sens10. » Un écrit, une parole, un geste, un discours, c’est neutre quand ça ne rentre pas dans le jeu de l’interprétation.

De manière inattendue lors de la lecture du texte, les associations viennent, à ce moment l’exercice de lecture-écriture commence, parfois sans que l’on puisse s’en rendre compte. Les mains écrivent dans les marges du livre, soulignent, mettent des signes, des questions, également dans des notes informatiques, ou encore prennent des photos avec le téléphone. La lecture du texte dans ces passages ne nous laisse pas intacts, elle secoue, bouge dans cette activité furtive, dans ce qui fait irruption sans avoir le temps de réfléchir, sans vraiment savoir ce qui déclenche la série des associations. Cette logique de lecture comme écrit Barthes « n’est pas déductive, mais associative : elle associe au texte matériel (à chacune de ses phrases) d’autres idées, d’autres images, d’autres significations11 ». Cela m’est arrivé avec la lecture du livre Le beau danger12, je ne pouvais pas m’arrêter d’écrire sur les marges du texte publié, j’ai souligné aussi ce qui m’est apparu comme une série de déclarations de Foucault. Quelque chose de l’esprit de cet entretien m’a pris par surprise.

Ce texte est un « entretien » avec Claude Bonnefoy, alors critique littéraire au journal Arts. La transcription de la première de ces rencontres qui eurent lieu en 1968, a été publiée en 2011. Le tapuscrit de l’« entretien » est conservé dans le Centre Michel Foucault, les bandes d’enregistrement ont disparu. Il correspond à ce qui reste de ce qui fut proposé comme une série d’entretiens pour un livre qui ne sera jamais publié. Ce matériel a été établi et présenté par Philippe Artières. Le titre de sa présentation « Faire l’expérience de la parole », indique son champ d’exercice : « Avec l’entretien, Foucault expérimente encore davantage l’exercice de la parole13 ».

Avec cet entretien, il ne s’agit pas de redire ce qu’il a déjà dit, pour Foucault parler est, d’abord, expérimenter en lui-même l’exercice de la parole. De quelle façon ? Il faudrait dire qu’il a fait un usage particulier de la parole, parler pour lui c’était : « Sans cesse réinventer un nouveau théâtre, un théâtre profondément politique14 ».

L’entretien se déroule après la publication du livre Les Mots et les Choses. Bonnefoy s’intéresse au rapport que Foucault entretien avec l’écriture. Il lui demande : « Pouvez-vous expliquer cela, montrer comment vous avez abordé l’écriture ? Je vous rappelle que ce qui m’intéresse ici, c’est Foucault écrivant15 ».

Avec cette demande de faire parler « Foucault écrivant », l’entretien va se transformer en un exercice — ce qui va surprendre Bonnefoy — :

La réponse que je veux vous faire risque un peu de vous surprendre. Je sais faire sur moi-même — et il me plaît de faire avec vous sur moi-même — un exercice bien différent de celui que j’ai fait sur les autres16.

En effet, « cet entretien » n’aura pas été vraiment un entretien, non plus un dialogue, mais, si on prend à la lettre cette déclaration, bel et bien un exercice, quelque chose qui faisait partie de son savoir-faire, quelque chose qu’il lui plaisait de faire. Foucault pratique ici une parole inédite, au terme de cette expérience, il se dit transformé et heureux d’être parvenu à inventer un type de discours qui ne soit « ni une conversation ni une espèce de monologue lyrique ». L’entretien prend dès lors la forme d’un espace d’expérimentation visant à circonscrire un lieu : il faudrait arriver à trouver une sorte de niveau du langage, de parole, d’échange, de communication ; ils doivent arriver à trouver une sorte de niveau pour parler. Il va introduire le mouvement au conditionnel :

Il faudrait donc que nous arrivions à trouver tous les deux une sorte de niveau du langage, de parole, d’échange, de communication qui ne soit ni tout à fait de l’ordre de l’œuvre, ni de celui de l’explication, ni non plus de la confidence. Alors essayons. Vous parliez de mon rapport à l’écriture17.

On se demande : De quoi s’agit-il avec cette expression « une sorte de niveau » ? On associe cette déclaration de Foucault avec celle de Barthes, si on trouve un niveau plus neutre, ce n’est jamais le dernier. Il y a là trois contraintes pour y arriver : rien de l’ordre de l’œuvre, pas d’explication, pas de confidence. Quoi donc ? La lecture de Bonnefoy remarque les vibrations de l’écriture littéraire dans ses textes. Foucault lui répond tout de suite, il commence par se démarquer de la dimension sacrée de l’écriture, pour l’effectuer il se propose de faire un exercice de palinodie :

Eh bien, ma foi, je vais profiter de l’occasion que vous m’offrez en me posant ces questions pour faire sur moi-même exactement le contraire. Je vais faire palinodie. Je vais retourner contre moi-même le sens du discours que j’avais tenu à propos des autres. Je vais essayer de vous dire ce qu’a été pour moi, dans le fil de ma vie, l’écriture18.

Que veut-il dire par là ? Il déclare ce qu’il va faire, c’est un performatif : « Je vais faire palinodie ». Foucault avait toujours essayé de ne pas tenir compte des facteurs biographiques, ni du contexte social ou culturel dans lequel il aurait pu naître, parce qu’il cherchait toujours à se débarrasser de la psychologie et aussi, de l’expression tellement montrée de son visage (il n’a pas réussi vraiment). Par rapport à l’exercice qu’il se propose de faire, il faut dire que dans l’Antiquité, la palinodie était une pièce de vers dans laquelle le poète déclarait se rétracter des sentiments antérieurs ; elle impliquait également un changement complet d’attitude19. Cet effet est plutôt utilisé en littérature, théâtre ou poésie. Palinodie vient du grec et signifie, chanter de nouveau, nouveau chant, nouvelle chanson.

D’un geste inattendu, pour arriver à cette sorte de niveau, il entre dans une expérience inédite de la parole, en proposant de faire un exercice où le sens de son discours va se retourner contre lui-même. En le faisant, ipso facto, il délaisse sa personne. Foucault va jouer le jeu de l’autobiographie pour mieux se distancier de lui-même. Il part de quelques difficultés qu’il a eues à bien écrire, c’est-à-dire, que pour découvrir le plaisir d’écrire il lui a fallu du temps ; il a fallu qu’il soit à l’étranger, en Suède, dans l’obligation de parler soit le suédois, soit l’anglais. Il situe là, dans le fait d’être à l’étranger, devant l’impossibilité de s’exprimer dans sa langue, le changement de son rapport au langage ; on pourrait dire qu’il a eu une vision. Il constate que son langage avait une épaisseur, une consistance :

Qu’il avait ses lois propres, qu’il avait ses corridors, ses chemins de facilité, ses lignes, ses pentes, ses côtes, ses aspérités, bref, qu’il y avait une physionomie et qu’il formait un paysage où l’on pouvait se promener et découvrir au détour des mots, autour de phrases, brusquement, des points de vue qui n’apparaissaient pas auparavant20.

Découvrir brusquement, c’est-à-dire, avec vivacité, violence, dans un mouvement imprévu. Pour voir et montrer l’épaisseur du langage, on doit délaisser la linguistique. Son but n’est pas de s’ériger en interprète de profonds secrets cachés sous les choses, il découvre « des points de vue présents et invisibles » : codes, corridors, chemins de facilité, lignes, pentes, côtes, aspérités. Il présente son langage comme un lieu d’exploration de la parole où il découvre brusquement « des points de vue qui n’apparaissaient pas auparavant ». Il se demande : « Existe-t-il un plaisir d’écrire ? » Et il se répond : « Je ne sais pas21. » Mais, quand même il sait que ce plaisir n’est pas lié au désir parce qu’il ressent une obligation d’écrire. Elle s’annonce simplement :

Cette obligation vous est annoncée, signifiée de différentes façons. Par exemple par le fait qu’on est dans une grande angoisse, dans une grande tension lorsqu’on n’a pas fait, comme chaque jour, sa petite page d’écriture22.

Foucault écrivant se dit appartenir à un milieu médical dans son enfance comme le trait le plus remarquable. Dans cet exercice de palinodie va apparaître le personnage du médecin, il prend sa place au théâtre quand il déclare : « Je suis fils de chirurgien23 ». On remarque le déplacement fait, il se fait fils d’un office « le chirurgien », en cela, il ne parle pas de manière autobiographique. On devine son sourire quand parmi les filiations qu’il mentionne, sa figure paternelle est associée à Nietzsche.

Un autre exemple. Il se sert d’un témoignage indirect, ce qui le frappe chez ses lecteurs, comme une façon de s’approcher, d’accéder à ses propres filiations : « Par exemple, ce qui me frappe beaucoup, c’est que mes lecteurs s’imaginent assez volontiers qu’il y a dans mon écriture une certaine agressivité24. »

Lui, personnellement, il ne l’éprouve pas, ce sont ses lecteurs qui reconnaissent en lui une écriture sèche et mordante25. Alors, reprendre ce qu’ont dit ses lecteurs, le mène par association, à se retourner contre lui-même :

Peut-être après-tout : est-ce que je trace sur la blancheur du papier ces mêmes signes agressifs que mon père traçait dans le corps des autres lorsqu’il opérait ? J’ai transformé le bistouri en porte-plume26.

C’est une des déclarations qu’il fait pendant cet exercice. En la faisant, on voit bien qu’il se sert du chirurgien pour opérer une transformation dans la vision de son écriture : « J’ai transformé le bistouri en porte-plume ». Dans cet exercice qu’il propose, écrire c’est opérer une transformation. En même temps qu’il se rapproche de « ses parents », il prend sa distance, il transforme l’office à sa manière, plutôt comme un peintre qui est en train de dessiner :

Je suis passé de l’efficacité de la guérison à l’inefficacité du libre propos ; j’ai substitué à la cicatrice sur le corps le graffiti sur le papier, j’ai substitué à l’ineffaçable de la cicatrice le signe parfaitement effaçable et raturable de l’écriture27.

Avec la magie de l’écriture, Foucault écrivant fait passer le bistouri du chirurgien au porte-plume, la guérison en libre propos, la cicatrice sur le corps en graffiti sur le papier, et, en plus, l’ineffaçable de la cicatrice sur le corps se meut, se transforme, en un lieu d’exercice d’effacement de soi. Cette opération magique, on pourrait l’associer à ce qu’écrit María Zambrano à propos de la peinture de « Wilfredo Lam » et, en particulier, du mot « magique », dans un texte intitulé Algunos lugares de la pintura :

Mágico es una palabra usada muy a menudo para definir lo indefinible. Aquí tiene en cambio un significado preciso: es la forma de relación primaria, original, del hombre con la realidad que lo rodea. Realidad que todavía no se ha dividido en visible e invisible, y que no ha sido transformada en « cosa »28.

Dans « el modo mágico », la puissance de chaque chose apparaît librement, comme c’est le cas pour le bistouri transformé en porte-plume, la cicatrice en graffiti et l’ineffaçable de la cicatrice en écriture de l’effacement de soi. Foucault parle d’un enchantement de l’écriture, elle doit manifester hors d’elle-même, montrer quelque chose :

Je me place résolument du côté des écrivants, de ceux dont l’écriture est transitive. Je veux dire dont l’écriture est destinée à désigner, montrer, manifester hors d’elle-même quelque chose qui, sans elle, serait restée sinon cachée, du moins invisible. C’est peut-être là qu’existe un enchantement de l’écriture29.

Pendant son exercice de palinodie, Foucault va s’arrêter sur l’envers de la tapisserie. Pour écrire, il lui faut partir d’une supposition, il suppose que les autres sont déjà morts, il déclare : « Pour moi, la parole commence après la mort et une fois cette rupture établie30. » Les déclarations commencent à faire série, les « je », les « moi », deviennent les plus neutres possibles, il a besoin de postuler quelque chose pour faire cette opération d’écriture :

Pour moi, écrire, c’est bien avoir affaire aux autres en tant qu’ils sont déjà morts. Je parle en quelque sorte sur le cadavre des autres. Je dois l’avouer je postule un peu leur mort31.

Établir cette rupture fournit un indice de son exercice, en tant qu’une expérience de transformation pour laquelle on accepte sa propre abolition32. Cette fois il parle du rôle de l’écriture :

Ainsi, pour moi, le rôle de l’écriture est essentiellement un rôle de mise à distance et de mesure de la distance. Écrire, c’est se placer dans cette distance qui nous sépare de la mort et de ce qui est mort33.

Quand on écrit, on fait un exercice, parce qu’écrire c’est bien différent de parler, c’est une expérience à la Bataille, « on écrit pour être autre que ce qu’on est. Il y a une modification de son mode d’être qu’on vise à travers le fait d’écrire34. » Il dit une phrase à Bonnefoy, écrire c’est faire une expérience très singulière :

Écrire au fond c’est essayer de faire s’écouler, par les canaux mystérieux de la plume et de l’écriture, toute la substance, non seulement de l’existence, mais du corps, dans ces traces minuscules qu’on dépose sur la feuille de papier35.

On voit la magie de l’opération d’écriture de Foucault écrivant. Écrire c’est essayer de faire s’écouler toute la substance, l’existence et le corps qui sont pris dans cette expérience jusqu’à sa dissolution, à son retournement en autre chose.

L’exercice de lecture-écriture

On va s’appuyer maintenant sur certaines déclarations postérieures de Foucault. Un point crucial est localisé avec l’exercice de lecture-écriture. Foucault ne lit pas pour le seul plaisir de lire, il distingue certains textes en particulier, « une sorte de texte chiffré », qui fait que le plaisir de lire change, se transforme en autre chose :

Le fait qu’il y a un secret, le sentiment de lire une sorte de texte chiffré font de la lecture un jeu, une entreprise certainement un peu plus complexe, un peu plus inquiète, presque un peu plus anxieuse que quand on lit un texte pour le pur plaisir36.

La lecture entre dans une autre expérience, acquiert une autre intensité avec ces traces minuscules. Foucault s’inscrit à ce moment-là dans un type d’expérience, typique de ces années-là, Lacan, Barthes, ont eux aussi proposé à leur manière, le même type d’expérience de dissolution. Ce qui a été important dans la lecture de Nietzsche, de Bataille, de Blanchot, c’était une entreprise de dé-subjectivation :

L’expérience chez Nietzsche, Blanchot, Bataille a pour fonction d’arracher le sujet à lui-même, de faire en sorte qu’il ne soit plus lui-même ou qu’il soit porté à son anéantissement ou à sa dissolution. C’est une entreprise de dé-subjectivation37.

Les lire comme une expérience de transformation, ce qui empêche : « d’avoir avec les choses, avec les autres, le même type de rapport que l’on avait avant la lecture38. » Ces exercices de lecture-écriture ont pour but de devenir autre que ce qu’on est, autre que soi-même.

Pour Foucault, la spiritualité est un exercice :

Qu’est-ce que la spiritualité ? C’est, je crois, cette pratique par laquelle l’homme est déplacé, transformé, bouleversé, jusqu’au renoncement à sa propre individualité, à sa propre position de sujet. C’est ne plus être sujet comme on l’a été jusqu’à présent, sujet par rapport à un pouvoir politique, mais sujet d’un savoir, sujet d’une expérience, sujet d’une croyance aussi. Il me semble que cette possibilité de se soulever soi-même à partir de la position du sujet qui vous a été fixée par un pouvoir politique, un pouvoir religieux, un dogme, une croyance, une habitude, une structure sociale, etc., c’est la spiritualité, c’est-à-dire devenir autre que ce qu’on est, autre que soi-même39.

L’exercice de lecture-écriture de Lacan que fait Jean Allouch — écrire en inversant la donne — pose la même question que Foucault, Barthes, Lacan, Blanchot, Bataille, Nietzsche, etc. Il remet en question la catégorie de « sujet de l’inconscient » chez Lacan avec le neutre, il s’agit d’une expérience de dissolution : « Il n’y a plus maintenant ni instance d’un appareil psychique ni moi, ni sujet, ni personne40. » L’expérience analytique va trouver à la fin un lieu déserté de tout sujet :

J’écrirai donc, inversant la donne : « Là où était le sujet de l’inconscient, là même ça aura eu lieu ». Le neutre blanchotien, l’aura eu lieu provient en droite ligne d’un vers de Mallarmé : « Rien d’autre n’aura eu lieu que le lieu41 ».

 

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